Chaire FIT²

Recension d’article : Hyperconnexion ou surconnexion ? Des chercheurs investiguent les conséquences psycho-sociales des technologies de la communication au travail

Recension d’article : Hyperconnexion ou surconnexion ? Des chercheurs investiguent les conséquences psycho-sociales des technologies de la communication au travail

ChaireFit2 TH 862

En lien avec la récente parution de l’ouvrage de la chaire FIT2 Numérique collaboratif et organisation du travail, nous résumons le remarquable article académique d’ Ophélie Morand, Béatrice Cahour, Vincent Grosjean et Marc-Éric Bobillier-Chaumon (Télécom Paris, INRS, Cnam).

Les auteurs commencent par opérer une distinction conceptuelle originale entre hyperconnexion et surconnexion. L’hyperconnexion consiste en un niveau élevé et dense d’exposition et d’usage des outils numériques de communication mais sans conséquences négatives particulières ressenties par les utilisateurs. Ils réservent le mot de surconnexion aux expériences digitales produisant un ressenti négatif et des conséquences néfastes.

Une revue très complète de la littérature leur permet ensuite de citer les principaux facteurs de risque psycho-sociaux liés à ces usages et leurs conséquences : intensité du travail et allongement du temps de travail, exigences émotionnelles accrues, perte d’autonomie, confusion des temps sociaux, perte de lien social, culte de l’urgence et perte de sens, etc.

Ces situations posent la question des stratégies de régulation à mettre en place dans les organisations pour diminuer les impacts négatifs de ces usages. Les auteurs distinguent schématiquement les régulations individuelles et les régulations institutionnelles. S’ils soulignent que les chartes d’usage édictées par les entreprises (régulation institutionnelle) sont souvent trop générales et uniformes pour être réellement opérantes et qu’elles visent surtout à permettre à l’entreprise de se donner bonne conscience, ils insistent sur le fait que ces chartes témoignent tout de même d’une prise de conscience des excès de la connexion et de l’infobésité. Les salariés peuvent s’appuyer sur ces chartes pour légitimer leur déconnexion, et hésitent de moins en moins à le faire (régulation individuelle).

Le cœur de l’article est constitué par les résultats d’une recherche empirique que les auteurs ont conduite auprès de cadres d’Orange, sur la base d’une méthodologie très robuste (questionnaire homogène administré auprès de 436 cadres âgés de 24 à 62 ans, 139 femmes, 297 hommes, 4 niveaux hiérarchiques investigués et 4 typologies de fonction, suivi par 20 entretiens approfondis via la technique de l’entretien d’explicitation avec des cadres volontaires ayant préalablement répondu au questionnaire).

Sur la base d’une double analyse quantitative et qualitative, la synthèse des résultats a permis de faire émerger deux catégories de population : les hyperconnectés (peu d’effets négatifs ressentis) et les surconnectés (beaucoup d’effets négatifs ressentis). Les hyperconnectés occupent plutôt des fonctions supports transversales, alors que les surconnectés occupent souvent des fonctions commerciales ou des postes hiérarchiquement élevés. Pour la première catégorie, les technologies de la communication sont le principal vecteur et driver de leur activité, permettant d’accomplir la tâche prescrite, alors que pour la seconde, elles sont vécues comme des facteurs d’interruption et de perturbation de l’activité principale

Sur le plan de la santé, l’ensemble des personnes à haut niveau de connexion expriment de la fatigue, des désordres du sommeil, de l’anxiété ou de l’irritabilité, mais ces phénomènes sont nettement plus significativement perçus chez les surconnectés que chez les hyperconnectés.

Un haut volume de connexion numérique n’a donc pas un effet équivalent sur toutes les fonctions et dépend considérablement de l’activité/profession considérée, ainsi que de son encastrement plus large dans un système d’activité (règles de la communauté). La fonction commerciale ressort de l’étude comme l’une des principales catégories surconnectées (de même que les hauts niveaux hiérarchiques, ce qui est plus classique) et ce résultat est probablement généralisable. Au stress généré par la relation client et les objectifs de résultats quantitatifs, s’ajoute un sentiment de sollicitations constantes et d’interruptions via les canaux de communication qui renforce la charge mentale perçue, mais aussi l’impossibilité ressentie de se déconnecter. La principale différence entre les hyperconnectés et les surconnectés réside dans leur sentiment à l’égard de la connexion : pour les premiers, elle est vécue comme un avantage en termes de flexibilité et comme un facteur d’organisation de l’activité ; pour les seconds, la déconnexion est vécue comme une culpabilité douloureuse, porteuse de stress.

In fine, les auteurs soulignent que la régulation par les équipes et les managers de proximité (la régulation collective) qu’ils considèrent comme la plus prometteuse reste celle qui est la moins mise en œuvre, mais aussi l’un des points aveugles de la littérature sur le sujet des régulations numériques. C’était précisément l’une des principales conclusions de notre ouvrage Numérique collaboratif et organisation du travail.

Digital overconnectivity at work: a qualitative and quantitative study. Ophélie Morand, Béatrice Cahour, Vincent Grosjean, Marc-Éric Bobillier-Chaumon.  Dans Le travail humain 2023/2 (Vol. 86), pages 93 à 128

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